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Le blog du Muséum

Collections

Regard nouveau sur les collections Archinard : entre identification et provenance

Le 16 novembre 2023 par Louise Bourget

Le Muséum d’histoire naturelle du Havre retrace la provenance de la collection Louis Archinard. Les objets qui la composent ont été donnés entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.

Les objets proviennent principalement des campagnes militaires menées le long du fleuve Niger, dans les actuels Sénégal, Guinée et Mali.

LA CONTROVERSE DES DONS DU COLONEL ARCHINARD

Louis Archinard est le premier « Commandant supérieur du Soudan français ». Il obtient ce grade en 1888 à la suite de plusieurs campagnes militaires menées entre 1880 et 1884, dans le cadre de l’expansion coloniale française le long du fleuve Niger. En réaction, plusieurs mouvements de résistance à cette présence se développent. Ils sont incarnés en particulier par Samory et Ahmadou, à la tête de deux puissants empires musulmans.

Au fil de ses expéditions militaires, Archinard constitue une collection d’objets, acquis dans différentes localités. 

Les conditions précises d’acquisition de ces objets ne sont pas toujours connues. Toutefois, Archinard a été à l’origine d’un important butin de guerre constitué dans la ville de Ségou. Le 6 avril 1890, il dirige une colonne sur cette ville, capitale de l’Empire d'Ahmadou (située dans l’actuel Mali).

Les biens familiaux personnels, des manuscrits, des bijoux ou encore le sabre d’El Hadj Omar sont alors saisis. Envoyés en France par Archinard, ils y sont présentés comme des trophées de guerre. Aujourd’hui, cette prise de guerre est connue sous le nom de « Trésor de Ségou ». Les objets de ce butin se trouvent actuellement dispersés dans différentes institutions françaises : au musée du Quai Branly- Jacques Chirac, au musée de l’Armée et à la Bibliothèque nationale de France.

CONCERNANT LE FONDS ARCHINARD DU MUSEUM DU HAVRE

Le Muséum d’histoire naturelle du Havre conserve une collection ethnographique riche de 1000 objets tous continents confondus. Parmi les quelques 500 pièces africaines, une centaine a été jusqu'alors attribuée au donateur Archinard mais leur origine reste encore à préciser. 

La collection dite Archinard, constitue un des fonds historique du Muséum.

En 1944 pourtant, les bombardements ont provoqué la destruction d’une grande partie des objets exposés et conservés au Muséum. Toutefois une partie des collections a été mise à l'abris en 1941 puis en 1942 par André Maury, conservateur de l'époque. Parmi elle, comptait tout ou partie de la collection Archinard.

Un malheur n'arrivant jamais seul, une inondation est venue affecter en 1984 les réserves des fonds ethnographiques entraînant probablement d’importantes pertes et le déplacement d’objets.

Ces évènements ont eu un impact négatif sur les informations liées aux collections, leur traçabilité précise ayant été perturbée.

C’est dans ce contexte que l’établissement, sous la direction d’Anne Liénard[1], lance un vaste chantier d’identification de la provenance de son fonds Archinard.

L’enjeu est d’abord de redéfinir quels objets font réellement partie des dons de Louis Archinard. Ensuite, il faut déterminer précisément les modes d’acquisition de ces objets par le général. Ont-ils été pris dans un contexte militaire ? Ont-ils été achetés ? Si oui, dans quelles conditions ?

Justine Soistier, historienne spécialisée dans la recherche de provenance d’objets pris en contexte colonial, est chargée de cette mission.

De gauche à droite : Anne Liénard et Justine Soistier, identifiant un objet issu de la collection Archinard du MHNH.

 

Au total, ce sont 93 objets qui sont concernés. Justine partage ses recherches entre les Archives nationales d’outre-mer situées dans le sud de la France (Aix-en-Provence) et celles du Musée Quai Branly- Jacques Chirac, du Muséum d’histoire naturelle du Havre et des Archives municipales du Havre.

 

« Les journaux de marches sont très intéressants, ils permettent de restituer sur chaque journée, les actions militaires opérées dans la région »

 

Dix objets ont déjà été identifiés par Justine Soistier comme ayant été donnés avec certitude par Louis Archinard. Parmi eux, ce "lissoir/polissoir". Outil en bois, il était utilisé dans des travaux de cordonnerie.

 

Lissoir polissoir, 2008.4.17, donné au MHNH en 1889 par Louis Archinard

 

Si un chantier de provenance et d’identification se tient dans les réserves du Muséum, c’est parce que les législations sur les détentions d’objets pillés au sein des collections nationales évoluent.

Plusieurs pays, anciens territoires colonisés, souhaitent effectivement un retour des biens qu’ils considèrent comme ayant été volés durant la période coloniale.

C’est dans ce contexte que les musées nationaux se mobilisent de plus en plus dans les chantiers de recherches de provenance. Le but étant de faire la part de lumière sur l’origine floue de ces objets. Puis, d’anticiper éventuellement des restitutions ponctuelles de ces biens.


[1] Directrice du Muséum d’histoire naturelle du Havre (MHNH)

UN POINT DE DROIT SUR LA RESTITUTION D’ŒUVRES ?

En France, il existe des règles strictes concernant la gestion des collections des musées de France. Lorsqu'un objet entre dans un musée, il ne peut plus en ressortir. En effet, par héritage des acquis révolutionnaires, les biens des musées de France appartiennent au domaine public. C’est comme s’ils appartenaient à chaque Français. Donc, la loi veille minutieusement à ce que de tels biens ne puissent être vendus ou donnés.

Mais alors, pourquoi rechercher la provenance de ces artefacts si la restitution d’œuvre est illégale ?

En droit, il existe des exceptions ! Et concernant le sujet, cela s’appelle le déclassement d’objets culturels. Cette exception est prévue depuis 2002 et est inscrite dans le code du patrimoine culturel.

Cependant, ce que prévoit cette disposition générale s'avère insuffisante sur de nombreux points. Le déclassement est par exemple impossible pour les biens incorporés dans les collections publiques par dons. 

Alors, pour permettre une meilleure appréhension de la problématique ; il est nécessaire de passer par une loi. On appelle cela une loi spéciale, celle-ci va venir déroger à la loi générale. Car en droit, seule la loi peut déroger à la loi.

CONCERNANT LES RESTITUTIONS DE BIENS CULTURELS AFRICAINS

La restitution d’œuvres africaines est quant à elle très récente. Le discours d’Emmanuel Macron donné en 2017 à l’Université Ouaga 1 au Burkina Faso en pose les prémices. La France s'engage désormais en faveur de la restitution des biens culturels pillés à leur pays d’origine.

Après ce discours, il charge Felwinn Sarr, universitaire et écrivain sénégalais, et Bénédicte Savoy, historienne de l’art française, d’établir dans un rapport l’état des lieux des collections nationales d’œuvres africaines acquises irrégulièrement.

Suite à ce rapport, la France prend acte des recommandations et restitue 27 objets africains au Bénin et au Sénégal dont le fameux sabre dit « d’El Hadj Sarr » pris par le général Archinard.

Pour ce faire, une loi spéciale a donc dû être adoptée[1] qui n'est applicable que pour les 27 œuvres concernées. Or, le rapport Sarr-Savoy évoquait un bien plus grand nombre d'objets détenus en France. D'autres identifications vont donc avoir lieu.

Récemment, un nouveau rapport sur ce point de droit a été commandé par le Président de la République. Rendu en avril dernier par Jean-Luc Martinez, ancien président du musée du Louvre, le rapport explore des idées pour établir une loi qui traiterait de manière générale la question des restitutions. L’idée serait d’éviter le recours systématique aux lois spéciales c'est-à-dire au cas par cas, un processus trop laborieux.

Rima Abdul Malak, actuelle ministre de la Culture, a annoncé début 2023 que trois lois-cadres seraient proposées au Parlement.

Il s'agit de trois lois destinées à diviser méthodiquement les différents types de restitutions, celles concernant les restes humains, celles concernant les biens spoliés aux familles juives par les nazis et celles concernant les autres biens culturels. La première loi-cadre, concernant la restitution de biens spoliés a été adoptée le 22 juillet 2023[2]. La seconde, concernant la restitution de restes humains vient tout juste d’être votée par le Parlement, le 13 novembre 2023[3]. La dernière doit entrer en vigueur au début de l'année 2024.

Le futur des biens mal acquis, notamment en contexte colonial, dépendra ainsi de la législation bientôt mise en oeuvre.

Concernant le Muséum du Havre, ce chantier permettra dans un premier temps d'approfondir la connaissance sur l'histoire des biens conservés pris en contexte de guerre et de colonisation en Afrique de l'Ouest.


[1] Loi du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal

[2] Loi du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945

[3] Loi du 13 novembre 2023 relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques

 

BIBLIOGRAPHIE – références – pour aller plus loin

TERVONEN Taina, 2022, Les Otages contre histoire d'un butin colonial, Marchialy 

 

Remerciements à Justine Soistier, historienne spécialisée dans la recherche de provenance d'objets pris en contexte colonial et à Anne Liénard, Directrice du Muséum d'histoire naturelle du Havre, pour leurs relectures et contributions. 

 

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