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Le blog du Muséum

Curieux de sciences
 Ian Thompson, Tribal Historic Preservation Officer (Historic Preservation Department, Choctaw Nation of Oklahoma), découvrant les portraits de ses ancêtres dessinés 200 ans plus tôt par Lesueur.

RENCONTRE CHOCTAW

Le 29 mars 2023 par Gabrielle Baglione, Cléa Hameury

Le Muséum du Havre a eu l’honneur d’accueillir en 2022 une délégation de la nation Choctaw, dont les membres sont des descendants des anciens peuples rencontrés par Lesueur il y a plus de 200 ans. Retour sur une rencontre riche d'échanges, qui symbolise la reprise d'un lien tissé deux siècles plus tôt : le nouveau chapitre d'une histoire partagée autour du patrimoine culturel Choctaw.

INTRODUCTION

Poussé par une curiosité insatiable, au cœur de l’âge d’or de l’histoire naturelle et des cercles savants, Charles-Alexandre Lesueur (1778-1846) ne cesse de voyager de l’Océanie à l’Europe, en passant par l’Amérique du Nord. Dessinateur de talent, il illustre sa vie passée sur ces trois continents, entre 1800 et 1846. Les animaux, les paysages ou les « Naturels » rencontrés, sont autant de sujets qui remplissent ses carnets de croquis et ses vélins.

Durant son voyage aux États-Unis, qui dura près de vingt-deux années (1816-1837), Lesueur peint, décrit et tente de comprendre un monde encore peu connu des Européens. C’est lors ce de voyage qu’il fera la rencontre de peuples autochtones, notamment des Choctaws, dans le sud-est de l’Amérique du Nord. Rencontre qu’il consignera également par le dessin et l'écrit. La finesse du trait, le réalisme des couleurs, la justesse de la description, font des œuvres de ce peintre naturaliste, un véritable trésor artistique dont l’intérêt scientifique ne se dément pas. Aujourd’hui, près de 8000 documents papiers, dessins et manuscrits, sont conservés au Muséum dont un peu plus de 1500 concernent la vie de Lesueur aux États-Unis.

Dessin Lesueur États-Unis

"Jamy, Chawtas, à Petit Golphe, Mississippi", Charles-Alexandre Lesueur. Crayon sur papier, 16 avril 1830.

En 2019, le Musée du quai Branly-Jacques Chirac (MQB-JC) lance un projet de recherche collaboratif autour de ses collections provenant des États-Unis et du Canada : les collections royales d’Amérique du Nord (CRoyAN). Ces collections sont constituées d’objets pour la plupart collectés durant le premier empire colonial français (1534-1763). " L’objectif d’un tel projet est double : celui de recréer un lien entre ces collections et les peuples autochtones dont elles sont issues, mais aussi d’améliorer les connaissances de ces objets, des matériaux aux techniques de fabrication en passant par leur histoire culturelle" (Paz Núñez-Regueiro, responsable de l’Unité patrimoniale des Amériques au MQB-JC et porteuse du projet, 2022). 

Afin d’enrichir ce projet, le MQB-JC fait appel à des partenaires français dont le Muséum du Havre. Dans ce cadre, celui-ci a eu l’honneur d’accueillir en 2022 une délégation de la nation Choctaw, dont les membres sont des descendants des anciens peuples rencontrés par Lesueur 200 ans plus tôt. Retour sur une rencontre riche d'échanges, qui symbolise la reprise d'un lien tissé deux siècles plus tôt : le nouveau chapitre d'une histoire partagée autour du patrimoine culturel Choctaw.

LESUEUR AUX ÉTATS-UNIS – rencontre avec les Choctaws

Contexte du voyage : un séjour de vingt-et-une années

Au printemps 1815, le géologue américain William Maclure (1763-1840) vient en France pour s'informer de l'avancement des sciences. Président de l'Academy of Natural Sciences de Philadelphie et riche homme d'affaires, il consacre une partie de sa fortune aux sciences naturelles. À cette époque, Charles-Alexandre Lesueur est connu pour ses talents de dessinateur naturaliste révélés grâce au Voyage de découvertes aux Terres Australes (1800-1804). Maclure lui propose alors de l'accompagner pendant deux ans aux États-Unis, en qualité de dessinateur. Le contrat est signé le 8 août 1815.

 

Portrait de Charles-Alexandre Lesueur (1778-1846) par Charles Willson Peale, œuvre conservée à l’Academy of Natural Sciences de Philadelphie

 

Portrait de Charles-Alexandre Lesueur (1778-1846) par Charles Willson Peale, oeuvre conservée à l’Academy of Natural Sciences de Philadelphie.

Durant son voyage aux États-Unis, Lesueur s’engage à dessiner les animaux qu’il rencontre, les décrire (noter leurs mœurs et habitudes), les conserver dans l’alcool ou les naturaliser et surveiller les travaux de gravure en vue d’une éventuelle publication de ces observations. Ce sont finalement près de vingt-deux années qu'il passe aux États-Unis. Plusieurs domaines scientifiques attirent son attention : la zoologie (animaux), la géologie (minéraux), la paléontologie (fossiles) ou encore l’archéologie (fouilles de sol). À son retour en France en juillet 1837, Lesueur déclare 473 kg de matériel parmi lesquels des livres et des objets d'histoire naturelle. Mais les sciences naturelles ne constituent pas son centre d’intérêt exclusif.

Rencontre avec les Choctaws

Au cours de ses voyages sur le fleuve Mississippi, entre 1828 et 1837, Lesueur rencontre des peuples autochtones. Il s’agit notamment des Choctaws et des Wyandots, qui vivent au sud-est de l’Amérique du Nord. Rencontres qu’il dessine et décrit : scènes quotidiennes ou coutumières, objets spécifiques... Un grand nombre de ses travaux scientifiques sont publiés dans différents bulletins de sociétés savantes pour lesquels Lesueur fournit souvent les illustrations, gravures qu'il a lui-même réalisées. Ses observations, sa manière de les consigner et les hypothèses qu'il formule donnent à son raisonnement une allure d'enquête anthropologique.

Assistant à une scène coutumière, Lesueur l’évoque dans un écrit et dessine les objets mis en scène :

"Les chefs seuls paraissent avoir le droit d'avoir ces pipes, ou peut-être est-ce celle de paix que l'on fume dans les grandes occasions. La première de ces pipes (…) a été trouvée sur le champ de bataille sur le Mississippi (…) en 1832. Cette pipe est faite d'une espèce d'argile endurcie d'un beau brun rouge que l'on ne trouve que dans l'Etat du Missouri. Cette pierre est regardée comme sacrée par les Indiens (…)".

Pipes indiennes et dessin Jamy, Chawtas.

(1) "Jamy – french – James – Jamy, Chawtas april 16, 1830 à Petit Golphe, Mississippi", Charles-Alexandre Lesueur. Crayon sur papier, 16 avril 1830. Au verso, description des vêtements : "hunting shirt de toile de coton, sale, bordée de plume bleu – large collet pendant derrière – guêtre rouge avec jarretière rouge, avec perle blanche et noire – collier de perle blanche et noire".

(2) Pipes indiennes issues du Missouri et de l’Illinois, Charles-Alexandre Lesueur. Aquarelle, gouache et crayon sur papier, entre 1832 et 1837.

"Mon intention ici n'est pas de faire une histoire complète des peuples qui ont habité ces contrées (…). Je me bornerai seulement à ne donner que les notes que la tradition a transmises, qui doivent être plus ou moins altérées par le temps et ceux qui les racontent (…). Les différentes tribus d'Indiens ont été petit à petit chassées, se sont retirées et se sont mêlées avec celles chez lesquelles elles allaient chercher l'hospitalité, ne la trouvant plus chez ceux qui ont envahi leur pays, et qui les repoussent sans cesse pour agrandir leurs frontières. La civilisation aurait dû en faire des amis, mais la civilisation est encore enveloppée dans son manteau de barbarie et les peuples qui en sont revêtus, s'en servent pour leur propre intérêt et leur propre avarice. Les guerres continuelles que les Indiens ont été obligés de soutenir, les promesses continuelles pour ceux qui les engagèrent à soutenir leur parti et sacrifier par eux, les ont tellement affaiblis, sans compter celles qu'ils se faisaient entre eux, excités par les intéressés. Ils ont disparu et disparaîtront tout à fait (…) le peu qu'il en restera [sera] poursuivi comme des bêtes féroces. Les lieux habités par ces mêmes peuples laissent à nos recherches dans leurs monuments, leurs armes, leurs objets d'art, leurs sépultures, ce qu'ils ont été et le degré de leur civilisation, pour les objets les plus utiles à la vie qu'ils menaient.

J'ai eu l'occasion de voir, de trouver moi-même beaucoup de ces objets. Plusieurs d'entre eux, trouvés à de grandes distances sont formés du même matériau et offrent la même forme. Mon projet est de les décrire, d'en donner les dessins et le lieu où ils ont été trouvés".

- Charles-Alexandre Lesueur, manuscrit inv. 41 292

 

À l’époque de Lesueur, certains peuples autochtones avaient été décimés près d’un demi-siècle plus tôt par les Européens, ou avaient été déplacés pour laisser la place aux colons européens plus à l'est. C’est le cas des Choctaws, appelés Chactas par les Français, dont le territoire se situait plus à l’est (Mississippi, Alabama et Louisiane) et voisinait celui des Natchez. Ils ont été ensuite déportés vers l’ouest par la colonisation galopante entre 1820 et 1840.

Le territoire des Choctaws est aujourd’hui situé dans un grand quart sud-est de l’Oklahoma, à la frontière avec l’Arkansas, au nord-est de Dallas. Leur nation est la troisième plus grande reconnue par le gouvernement fédéral aux États-Unis et la plus grande réserve indienne après celle des Navajos.

Carte de la Louisiane et du cours du Mississipi, avec les colonies anglaises, réalisée en 1782. Philippe Buache (1700-1773) - Guillaume Delisle ou de L'Isle (1675-1726) – en vert, le territoire des Chactas (Chattas).

 

Carte de la Louisiane et du cours du Mississipi, avec les colonies anglaises, réalisée en 1782. Philippe Buache (1700-1773) - Guillaume Delisle ou de L'Isle (1675-1726) – délimité en vert, le territoire des Chactas (Chattas).

Rencontre des Choctaws au Muséum d’histoire naturelle du Havre

Rencontre au Muséum du Havre entre les membres de la nation Choctaw et les dessins de leurs ancêtres, présentation des œuvres de Charles-Alexandre Lesueur.

 

Rencontre au Muséum du Havre entre les membres de la nation Choctaw et les dessins de leurs ancêtres, présentation des œuvres de Charles-Alexandre Lesueur.

Derrière chaque objet se cache une histoire.

Au-delà des nombreux dessins et gravures rapportés par Charles-Alexandre Lesueur, de nombreux objets d’Amérique du Nord furent également collectés et rapportés en France par les colons européens. Cet héritage culturel renferme de nombreux savoirs notamment sur le territoire auquel il se rattache : usages, coutumes, croyances, spiritualité… L’objectif pour le Musée du quai Branly - Jacques Chirac et les structures partenaires est donc de rétablir ces liens entre les collections et les peuples autochtones.

 « Les peuples autochtones apportent beaucoup de savoirs. Lorsqu’on étudie une carte avec une toponymie locale, celle-ci est alors éclairée par leurs connaissances de la langue ». (Paz Núñez-Regueiro, 2022). 

 

Vidéo - Projet CRoyAN : Collections Royales d’Amérique du Nord. JUBIEN Chrystel, Musée du Quai Branly-Jacques (2022).

« Au-delà de la simple matérialité de l’objet et des témoignages historiques, chaque objet renferme une histoire, une culture, une économie culturelle qui a permis la fabrication de ces objets ». (Leandro Varison, chargé de la recherche internationale, MQB-JC, 2022)

Autour de ce projet collaboratif, le Muséum du Havre a eu le plaisir de recevoir Ian Thompson, Jennifer Byram, Megan Baker et Ryan L. Spring, membres de la Nation Choctaw de l’Oklahoma. De nombreux dessins et objets archéologiques ont ainsi pu être montrés et consultés : dessins de paysages, portraits, scènes de vie, poissons, tortues, peaux de bison, pipes indiennes, …

Dessin Lesueur États-Unis

Présentation des œuvres de Charles-Alexandre Lesueur aux équipes du Musée du quai Branly et aux membres de la nation Choctaw - premières prises de notes.

Ces rencontres ont alors permis d’éclairer certains d’entre eux, c’est le cas notamment des haches archéologiques ou encore du dessin du « jeu de paume », appelé « stickball » aux États-Unis, un sport se rapprochant du lacrosse et qui se pratique toujours aujourd’hui. Enfin, des précisions sur un certain type de construction, « les maisons d’été » et leur usage ont pu être apportées.

Haches archéologiques - Choctaw

Présentation des haches archéologiques prélevées et dessinées par Lesueur. Les haches sont relativement nombreuses en archéologie américaine ; dans l’Indiana, à New Harmony, le Working Men’s Institute en conserve une série et il n’est pas la seule institution dans ce cas.

« Lorsque l’on s’intéresse à l’histoire de ces objets, on se rend compte qu’elles sont liées à des événements qui, pour les tribus autochtones, sont récents et encore très présents. Pour nous, Français, ce sont des événements qui se sont passés au 17e - 18e siècle, mais leur violence a provoqué une telle rupture dans ces sociétés, qu’il s’agit d’une blessure encore bien présente. Cela souligne l’importance de ces rencontres, la communication et de faire comprendre qu’il s’agit une temporalité bien différente d’une part et d’autre de l’océan. Une histoire bien lointaine certes, mais pour eux encore très présente. » (Paz Núñez-Regueiro, 2022). 

Au sein du cabinet de dessins prévu dans le futur parcours d’exposition, le Muséum d’histoire naturelle du Havre souhaite et imagine pouvoir donner la parole à ces peuples : une sorte de carte blanche pour accrocher des dessins de Lesueur tout en y mêlant des objets contemporains. Qui de mieux placés que les Choctaws eux-mêmes, pour nous parler de leur histoire et de leur culture ?

 

Muséum d’histoire naturelle du Havre (2023).

BIBLIOGRAPHIE – références – pour aller plus loin

  • BAGLIONE Gabrielle et CRÉMIÈRE Cédric. 2009. Charles-Alexandre Lesueur, peintre voyageur, un trésor oublié. Édition Conti, 399p.
  • BAGLIONE Gabrielle, 2008. États-Unis, 1816-1837. Collection Lesueur – éditions du Muséum du Havre, 67p. (Disponible en ligne)
  • JUBIEN Chrystel, 2022. Museums and Renewed Diplomacy : rebuilding Choctaw-French Relations. Musée du Quai Branly-Jacques Chirac. 9 minutes 54. (Disponible en ligne)

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États-Unis, 1816-1837

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