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Le blog du Muséum

Les coulisses du Muséum

Interview de Romain Greif, architecte des travaux du Muséum

Le 6 juin 2023 par Louise Bourget

Dans le cadre des travaux de rénovation du Muséum d'histoire naturelle du Havre, nous avons interrogé Romain Greif - architecte des bâtiments de France, en charge du projet.

" [...] La matière sublimée m'émeut, nous architectes, ne sommes pas que techniciens, nous devons comprendre et transmettre ce qui nous est parvenu. "

L'interview complète

L. B : Bonjour M. Greif, pouvez-vous vous présenter ?

R. G. : Bonjour, bien entendu. Je suis à la fois architecte et ingénieur. Issu de la filière scientifique, j’ai en premier lieu étudié l’ingénierie en bâtiment, une branche très technique et dont l’enseignement est fondé sur l’apprentissage du projet de construction. Cela m’a très vite amené à me passionner pour l’architecture, j’en ai fait mon métier.

Mes premiers travaux en agence concernaient avant tout des projets de conceptions neuves (cliniques, hôpitaux) puis j’ai par la suite suivi et développé, pour une grande agence française, des projets culturels tournés vers la conception de musées et de salles de spectacle. […] Travailler à la valorisation de biens publics culturels a été un véritable coup de cœur. […] Je me suis associé à Marie-Amélie Tek – Architecte du Patrimoine – et de nos compétences respectives, nous avons créé notre agence GFTK en 2015, spécialisée dans la restauration de monuments historiques mais nous restons attachés à une forte volonté de « touche-à-tout ». […] Aimant l’Histoire et l’Architecture, travailler dans l’existant à valeur patrimoniale est devenu une évidence et s’est fait naturellement

 

L.B. : Comment abordez-vous les projets de restaurations de MH ?

R. G. : Avant toute chose, notre agence base son expertise sur le diagnostic d’un état existant. Pour ce type de programme, il est indispensable de toujours prendre le temps d’observer l’ouvrage et d’y attacher un grand soin pour révéler la façon dont il a traversé les âges, comment il a été transformé. Les monuments et les bâtiments ont déjà une histoire. C’est une véritable « enquête » du bâti que nous devons faire. On remet au jour une histoire souvent méconnue ou décousue afin de fonder notre réflexion et de définir le parti du projet. A ce moment-là, il faut savoir valoriser sans dénaturer. […] A la différence du projet « neuf », il est très important mais ô combien plaisant de prendre le temps de l’observation et de la compréhension d’un bâtiment.

 

L.B. : Justement, n’y a-t-il pas un paradoxe entre le métier d’architecte, porté sur l’innovation, et le fait de restaurer des monuments historiques qui doivent rester dans « leur jus » ?

R.G. : L’innovation existe aussi dans la restauration de bâtiments existants. Ce n’est pas antagoniste. Une conception fine et discrète, que l’on pourrait ne pas voir, va s’inscrire dans un vocabulaire architectural existant et, toute en subtilité, peut devenir une innovation majeure soulignant des années, des siècles d’Histoire.

La différence tient surtout à l’humilité que l’on va avoir en face d’un ouvrage qui nous a préexisté, en face d’une qualité de conception et de réalisation phénoménale parfois disparue aujourd’hui. Comprendre pour transmette devient essentiel pour valoriser notre patrimoine mais aussi pour rester enraciné dans notre culture et la passer aux suivants. Rien ne nous empêche cependant de la transmettre avec un trait contemporain ni de nous projeter dans une cohabitation entre l’ancien, le contemporain voir le futuriste.

Aujourd’hui, on a des moyens d’innervation des bâtiments très différents qui évoluent très vite (traitements d’air, électricité, informatique…). Et cela nous amène à repenser l’implantation des terminaux techniques comme leur irrigation dans les bâtiments. Mais on ne traite pas de la même façon une structure en pierre qu’une ossature en béton ou en lamellé-collé. En d’autres termes, il faut pouvoir faire venir l’innovation dans ces enveloppes. De très beaux résultats à mi-chemin entre l’innovation et la conservation existent.

 

L.B. : Vous avez des exemples ?

R. G. : Oui, nous avons travaillé dans le Palais des Congrès de Versailles. C’est un ouvrage construit en 1967 par Pierre-Edouard Lambert (chef de projet de l’Atelier Perret au Havre). Il n’est pas classé Monument historique mais, d’une forte valeur patrimoniale, il se situe aussi dans le SPR de Versailles juste en face du château. Dans ce contexte, le projet a été soumis au contrôle scientifique et technique de l’Etat, comme il en est d’usage. On y a apporté une nouvelle identité, très respectueuse du lieu et de la conception d’origine par Lambert. Nous y avons créé de nouveaux luminaires et mobiliers s’inscrivant parfaitement dans l’écriture initiale du bâtiment.  Le projet consistait également à le rééquiper d’un nouveau parc scénographique afin de moderniser l’exploitation du site. L’éclairage architectural a été déterminant pour ce projet et au moyen de jeux de lumières fins, intégrés nous avons révélé les lignes de force du bâtiment existant. Le savoir-faire des corps de métier du chantier a été déterminant dans la réussite d’une telle mise en valeur. Nous avons utilisé des moyens techniques d’aujourd’hui pour sublimer une architecture d’hier.

 

L.B. : Y a-t-il des contraintes supplémentaires sur un MH ?

R.G. : Je ne pense pas que « contraintes » soit le terme adapté.

 

L.B. : Ce sont plutôt des avantages selon vous ?

R.G : Exactement, le code du patrimoine régit toute intervention sur les Monuments historiques. Ainsi, la loi oblige pour les bâtiments classés à ce que le maître d’œuvre soit architecte du patrimoine. Celui-ci a toutes les compétences pour comprendre les enjeux et pour proposer des solutions adaptées, respectueuses de la matière existante afin de restaurer l’ouvrage et de révéler sa valeur patrimoniale. […] Il s’agit là d’un héritage collectif. Et, l’Etat aide ceux qui souhaitent mettre en valeur ces biens collectifs, par le biais de subventions notamment. Mais pour cela il y a évidemment des règles et un savoir-faire à respecter.

 

L.B. : Concernant le Muséum du Havre, classé MH, quelles sont les particularités de conception du bâtiment ?

R.G. : L’ensemble est d’intérêt notable. La façade Ouest surmontée de son fronton et donnant sur la place du Vieux Marché a été classée Monument historique en 1948, vestige authentique de 1762, année de la construction du bâtiment. L’escalier monumental et sa rampe ont quant à eux été classés en 1963. C’est ce que nous pourrions appeler un « classement d’urgence » dans le sens où Auguste Perret souhaitait se débarrasser du bâtiment au moment de la reconstruction. Le Muséum est un vrai résistant à la trame Perret et cela lui confère un caractère encore plus fort, bien ancré dans son emprise et dans ce site, témoin d’une époque (fin XVIIIe siècle) presque disparue de la ville du Havre. Une fois le bâtiment classé, l’architecte de l’époque a reconstruit l’intérieur de manière très moderne.

Ce qui m’a semblé très original, c’est cette enveloppe en pierre et ce cœur en béton. A l’intérieur, il y a un dédale complexe de planchers ajourés, de niveaux entresolés, de double-hauteur… C’est très malin et cela donne à mon sens beaucoup de qualité au parcours scénographique.

L’histoire du bâtiment est très intéressante et il faut savoir aussi qu’était accolé sur l’esplanade sud (actuelle entrée) un petit bâtiment : « Le poids le roi » qui en son temps accueillait les commerçants et percevait l’impôt sur les marchandises. Il a résisté aux bombardements mais il a été décidé de sa destruction. C’est une partie de sa façade et de ses pierres qui ont été rapportées et remontées sur l’actuelle façade sud du Muséum. A terme, on pourrait imaginer qu’il serait intéressant de reconstituer cette extension dans une écriture contemporaine, ces nouvelles surfaces seraient sans doute très utiles au Muséum.

 

L.B. : Au niveau de l’appréhension du site, la place du Vieux-Marché (devant le Muséum) va également être refondée, est-ce un élément pris en compte dans votre chantier ?

R.G. : C’est un sujet épineux (rires). Nous l’avions considérée d’un point de vue historique. Depuis 1836, il y avait deux petites halles de marché qui avaient été construites symétriquement de chaque côté de la place dans sa longueur, elles ont par la suite été démolies en 1911 me semble-t-il. Il y avait encore ce principe de centralité et d’axe de composition donnant sur l’entrée du Palais de justice / Muséum se faisait par l’entrée de la grande porte au cœur de la façade Ouest. Restaurer l’harmonie entre le bâtiment et son environnement exigerait de restaurer cet accès central mais qui présente des difficultés d’accessibilité ou d’isolation. On a fait part de ces questionnements à l’équipe qui a conçu l’aménagement de la place du Vieux-Marché et cela a fait écho chez eux. Ils ont conçu un aménagement intégrant des dispositions conservatoires et permettant un jour peut-être de restaurer cet accès central.

 

L.B. : N’y a-t-il pas une petite pression en tant qu’architecte à réaliser un tel projet au cœur du centre-ville reconstruit et classé au patrimoine mondial de l’UNESCO ?

R.G. : Evidemment, le travail et l’œuvre de Perret est d’un intérêt majeur et a beaucoup fait évoluer l’architecture de nos jours. Il n’y a pas de pression particulière ni de guerre entre les anciens et les modernes, on se nourrit des deux façons de voir la ville. On ne défend pas un statu quo. Aujourd’hui, je trouve formidable que le bâtiment ait résisté à la trame Perret. Ce sont deux entités qu’il faut préserver et mettre en valeur. Et les accidents générés par la rencontre du tissu ancien et de la trame moderne doivent devenir des lieux sublimes où l’Histoire se manifeste aux yeux de tous.

[…] Nous avons une responsabilité importante en tant qu’architectes. Il ne faut pas traiter un sujet de manière trop personnelle. Nous sommes responsables de révéler le beau et de transmettre […], pour que la cohérence d’ensemble et l’harmonie qui en découle soit porteuse de bien-être. Bien entendu, il y a également un objectif budgétaire car lorsqu’on parle de biens collectifs, on parle aussi d’argent public. Tout ça fait partie de notre métier mais c’est avant tout beaucoup d’enthousiasme !

 

L.B. : Quel sera le plus gros changement pour les publics ?

R.G. : Le hall d’accueil a été conçu très différemment de son fonctionnement d’aujourd’hui avec une nouvelle mezzanine, un mobilier ambitieux mais les usages et le parcours restent sensiblement les mêmes. Les contenus sont considérablement enrichis et mis en valeur dans une nouvelle cohérence de visite et de parcours. Pour ne pas impacter le volume de la toiture, nous avons suggéré d’implanter la colonne d’ascenseur sous le faîtage (point le plus haut de la toiture) de sorte que l’enveloppe du bâtiment ne soit pas modifiée et qu’il n’impacte pas sa perception extérieure. L’ascenseur sera placé près de l’escalier monumental. Il nous semble plus cohérent et naturel d’adosser ce nouvel organe de distribution du Muséum à son épine dorsale. Cette implantation permet également aux visiteurs à mobilité réduite d’effectuer un parcours très proche de celui empruntant les escaliers.

 

L.B. : Pour finir, Romain Greif, parmi les grands projets de la réouverture, il y a l’exposition permanente d’un loricatosaurus entier (dinosaure herbivore de près de 165 millions d’années) dans l’espace Biodiversité dans le passé. Également, le choix a été fait d’exposer, dans l’espace Arts graphiques, plusieurs dessins de Charles-Alexandre Lesueur – peintre explorateur du 19e qui a légué sa collection au Muséum.

Ce qui m’amène à vous demander : plutôt dinosaures ou dessins d’explorateurs ?

R.G. : Difficile de choisir ! Les dinosaures étaient ma passion d’enfant et les explorateurs ma passion d’adolescent… J’ai beaucoup de sensibilité pour Lesueur, je trouve cette collection admirable. Ses talents de dessinateur, peintre naturaliste, ses voyages, tout ce qu’il en a rapporté, c’est véritablement unique. D’autre part le loricatosaurus est époustouflant ; et je suis totalement ébahi devant ces animaux qui ont existé avant notre ère, qui ont dominé la planète dans une nature que l’on imagine très foisonnante, hostile… ici même en Normandie ! L’objet de tous mes fantasmes d’enfant !

Je trouve cela formidable que les deux puissent être présentés aux publics. On se rend compte de la richesse des collections du Muséum. Et son enveloppe, certes petite, forme un magnifique écrin qui participe à cette valorisation.

Le portrait de Romain Greif

Interview menée par Louise Bourget - Photo : Cléa Hameury. JUIN 2023

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