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Le blog du Muséum

Les coulisses du Muséum

Interview de Stéphane Coffard, Staffeur-ornemaniste

Le 9 avril 2024 par Cléa Hameury

En France, ils sont moins d’un millier à partager ce savoir-faire. Corniches, moulures, colonnes ou rosaces : les staffeurs-ornemanistes réalisent des éléments de décoration en staff ou en stuc pour habiller un intérieur ou restaurer une construction ancienne. Stéphane Coffard, staffeur depuis plus de 40 ans, participe au chantier de réhabilitation du Muséum et nous livre quelques ficelles de son métier.

L'interview complète

Cléa Hameury : Bonjour Stéphane. Vous êtes Staffeur ornemaniste et vous participez actuellement à la rénovation du Muséum. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre métier et vos missions aujourd'hui au musée ?

Stéphane Coffard : Je travaille pour la société Art Staff, une entreprise familiale presque centenaire et spécialisée dans le plâtre et… le staff ! Notre entreprise étant Rouennaise, nous intervenons majoritairement sur Rouen mais il nous arrive de nous déplacer ailleurs sur d’autres chantiers, comme c’est le cas aujourd’hui au Muséum du Havre.

Nous utilisons principalement du plâtre et du staff qui ont des usages très différents. Le plâtre est essentiellement utilisé dans la fabrication de plafonds ou comme enduit. Le staff, quant à lui, est utilisé pour la réalisation d'éléments ornementaux de grandes précisions tels que les frises murales, les rosaces, les voûtes et les colonnes. Il s’agit d’un mélange de plâtre et de fibres végétales. Le végétal permet d’augmenter la résistance et la durabilité de l’élément. On peut par exemple utiliser du sisal, un cactus que l’on trouve au Mexique.

C.H : Les moulures et les corniches peuvent parfois être très détaillées. Comment réalisez-vous vos éléments de décoration ?

Le staff est un processus très technique ! Pour commencer, on se rend sur le chantier pour réaliser un profil, un patron de ce que l’on souhaite réaliser. Par exemple, pour une corniche au plafond, nous allons la trancher à l’aide d’une scie pour y glisser une feuille et dessiner son profil. Une fois le patron de la corniche crée, on le ramène à l’atelier sur une table en marbre. On le pose ensuite à plat sur une feuille de zinc que l’on poinçonne avec un marteau et un clou pour le reproduire. Le gabarit en zinc ainsi créé va ensuite être trainé sur le mélange plâtre-fibres pour façonner la moulure. Il faut aller très vite car le plâtre prend rapidement. On ne peut le faire qu’en une seul fois. Si l’on souhaite recommencer, on doit tout refaire ! La moulure ainsi créée pourra servir de moule. Et attention… La règle d’or en staff et pour les moules, est qu’on travaille toujours en miroir ! Pour être staffeur, il faut un peu avoir l’esprit à l’envers ! (rires). 

Une fois le moule créé, on vient le « gomme-laquer ». C’est-à-dire le dresser avec une cire, pour éviter que l’élément staffé reste collé. On remplit ensuite le moule. Pour cela, on prend une sorte de balayette et du Molda(1) pour réaliser un premier jet, puis on y intègre les fibres végétales, le sisal. Autrefois, le chanvre, voire même le crin de cheval pouvaient être utilisés ! Pour finir, on réalise par-dessus un jet de plâtre. Il faut attendre environ 1 h/1h30 de séchage avant de pouvoir poser la moulure sur le chantier.

C.H Les techniques anciennes ont dû bien évoluer avec le temps !

S.C : Oui ! À l’époque, dans les années 1800, on faisait tout sur place. On façonnait directement les moulures sur la façade, on ne passait pas par l’atelier. Le profil de la corniche était posé et trainé directement sur le mur. Le staff, c’est un peu le processus moderne de la moulure !

C.H Sur quels types de chantier avez-vous l’habitude de travailler ?

Nos chantiers peuvent être très variés, du monument historique au particulier qui souhaite réaliser des moulures. Mais… 80% de notre chiffre d’affaire repose sur de la restauration de façade ! Après l’incendie dramatique de Londres en 1666, beaucoup de façades en pan de bois ont dû être plâtrées en France pour les protéger du feu(2). À l’époque, seules les personnes les plus fortunées pouvaient se protéger des incendies. Et… Plus les façades étaient ornées de moulures, plus elles témoignaient de la richesse du propriétaire. Mais il n’y a pas que les habitations ! Cela nous arrive aussi de plâtrer ou de réaliser du staff pour certains monuments, là aussi pour les protéger du feu. De ce fait nous travaillons très peu à l’intérieur.

Il nous arrive aussi de travailler pour des particuliers. Par exemple, nous pouvons réaliser des corniches pour un appartement haussmannien. Le propriétaire casse un mur pour agrandir ses espaces et souhaite faire les différents raccords pour dissimuler la cassure. Les industries n’ont généralement pas le profil pour ce type de corniche. Elles ont des moules en silicone avec des formes prédéfinies. Or, chaque corniche reste très spécifique, chacune à ses « petites touches ». On fait donc appel à nous pour faire les raccords. Grâce aux moules en plâtre, c’est du sur mesure !

Le staff peut aussi toucher des secteurs « plus modernes » comme par exemple l’automobile. Les grandes marques possèdent généralement toutes une équipe de staffeurs. Quand vous voyez un modèle de voiture, un moule en plâtre a certainement dû être réalisé. Beaucoup de choses que vous voyez aujourd’hui ont de grandes chances d’avoir été créées à partir de staff ou de plâtre. 

C.H La diversité de vos chantiers vous a certainement permis de participer à des chantiers plus ou moins insolites ! Quels sont les chantiers qui vous ont le plus marqué ?

Certains chantiers m’ont particulièrement marqué tels que le Gros Horloge et la Cathédrale de Rouen ou encore le Petit Trianon à Versailles pour ses corniches. 

La Cathédrale de Rouen était remarquable par ses ogives et ses voutes. Il y avait beaucoup de plâtre et de staff à réaliser. J’aurais vraiment aimé être mobilisé sur le chantier de Notre Dame ! Mais à Paris, il y a beaucoup de concurrence… Pour ce qui est du Gros Horloge, nous avons avions réalisé une greffe de résine de pierre sur le carillon.

C.H Et au Muséum, qu’êtes-vous amenés à faire ?

Au Muséum, nous réalisons du plâtre à l’ancienne, traditionnel. Nous réalisons des raccords de plâtre, nous rebouchons des micro fissures, quelques ébranlements et nous recréons aussi certains coins de murs. En quelque sorte, nous lui redonnons un bon coup de propre ! Pas de moulures en vue mais cela permet aussi aux jeunes apprentis de se former.

C.H En parlant de formation, quel parcours existe-t-il pour ce métier ?

Après avoir obtenu le bac, la formation d’un staffeur est d’environ 3 ans. Il existe une école à Paris. C’est assez technique, il y a beaucoup de choses à apprendre comme de la géométrie, de l’histoire de l’art... Me concernant, je fais un peu partie de l’ancienne école…  J’ai appris sur le tas ! (rires)

On doit être moins de 1 000 staffeurs en France. C’est un métier assez peu connu et en perdition. Les entreprises de staff n’ont jamais été de grosses structures, 5 ou 6 ouvriers pas plus. Mais heureusement, la spécificité de certaines décorations fait qu’on aura toujours besoin de nous. Cela nous donne un avantage par rapport aux nouvelles technologies et industries.

Il y a aussi peu de concurrence. Mais… le problème est que les jeunes artisans staffeurs ont souvent tendance à partir à l’étranger comme au Maghreb, aux émirats arabes unis ou encore au Qatar. Ces pays adorent les moulures, ils font beaucoup de coupoles, de mosquées... C’est très intéressant et… surtout bien rémunéré ! C’est dommage car il y a beaucoup de travail en France et il ne faudrait pas que le métier se perde.

C.H. Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans ce métier ?

On nous dit souvent que « Vous avez un beau métier ». C’est vrai ! Le côté artistique et décoratif, m’apportent beaucoup. Concevoir, créer, imaginer, embellir… Il faut aussi savoir être très patient, minutieux et ne pas compter ses heures. Pour une coupe intérieure, il faut que ça soit par-fait ! Un jour mon ancien patron m’a dit « Surtout si un jour un client te dit, « je vois ce que vous avez fait ! ». C’est que tu as mal travaillé. Par contre s’il ne voit rien, s’il ne voit pas les raccords que tu as fait, là, tu sais que tu as bien travaillé. ». C’est extrêmement important ! Il faut avoir l’impression que rien n’a changé. Le goût de remettre à neuf en permanence est très satisfaisant. Cela fait 43 ans que je pratique ce métier, j’ai commencé à l’âge de 15 ans. C’est un métier de passion.

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  1. Molda : plâtre de moulage durs
  2. Après le grand incendie de Londres en 1666, Louis XIV imposa que les constructions soient emplâtrées, afin de mieux résister au feu. 

 

Le portrait de Stéphane Coffard

 

Interview menée par Cléa Hameury. Mars 2023

 

 

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